Kahloucha, Ghuira : quid du racisme en Tunisie ?
« Kahloucha », « Ghira », ou le racisme tunisien
« Racisme », « xénophobie » , « kahloucha », « Ghira » : des mots qui ne me parlaient pas jusqu’au jour où j’ai foulé le sol tunisien. Le 21 mars célèbre chaque année la lutte pour l’élimination de la discrimination raciale. Pour célébrer ce jour j’ai décidé d’écrire un billet qui me ramène quelques années en arrière, en Tunisie. C’est dans ce pays où je me rendais en tant qu’étudiante que, pour la première fois, le racisme s’est imposé à moi. Le racisme pas seulement comme une évidence, mais surtout comme une réalité, une expérience vécue.
Je suis guinéenne, d’autres disent « noire » ou « africaine »… je suis arrivée en Tunisie pour quatre années d’études, quatre années de ma vie dans un pays qui parle des « africains » comme s’il s’agissait d’un continent complètement étranger ! La Tunisie ne se revendique pas de l’Afrique, son africanité semble être totalement inconsciente, les noirs y sont traités d’esclaves ou de nègres, au féminin ça donne des termes péjoratifs comme « kahloucha » ou « Ghira ».
Tunisie, je t’aime et je ne t’oublierai jamais, mais voilà, c’est sur ton sol que j’ai connu le racisme.
Tunisie, je t’aime et je ne t’oublierai jamais, mais je vais quand même écrire ce billet pour raconter quelques –unes de mes tristes expériences d’étudiante guinéenne en Tunisie.
(Main dans la main. Crédit France 24)
Aéroport de Tunis
Nous étions une bande de sept étudiants guinéens et nous venions poursuivre des études supérieures en Tunisie. Ce jour-là, assommés par le vol, nous ne souhaitions qu’une chose : rentrer, dormir et nous réveiller en forme le lendemain pour aller voir l’avenue Bourguiba – les Champs Elysée Tunisiens ! – dont on avait tant entendu parler. Mais c’était sans compter sur le traitement exclusif que nous réservait la police des frontières à l’aéroport.
A la sortie de l’avion, notre groupe a été mis à part. Le motif ? Nous venions d’Afrique noire, cela suffisait à nous séquestrer le temps d’un contrôle d’identité particulier. Les autres passagers du vol (à première vue des africains du nord) n’ont eu aucun problème à passer le filet de sécurité. Notre guide consulaire est rapidement arrivé, mais, même en brandissant tous nos papiers en règle, les policiers se montraient hermétiques à toute issue favorable. On se serait crus tels des voleurs pris la main dans le sac. Ils attendaient le prochain vol pour nous rapatrier illico ! Finalement, quatre heures après, dépités et abasourdis, nous sortions enfin de l’aéroport.
Premier jour à la Faculté
Mon professeur tunisien d’éco-gestion m’interpella devant tout l’amphithéâtre en me lançant effrontément : « Hey Kahloucha » (nègre), il me montrait du doigt sans vergogne, « comment es-tu arrivée en Tunisie ? Attends ! Je le sais … par la nage, comme vous tous ! ». Je me suis raidie intérieurement. J’étais sidérée, je n’arrivais pas à croire qu’un professeur puisse sortir de telles absurdités. Ma seule réponse fut mon sourire benoît, mais au fond de moi je fulminais.
Les rues de Sfax
Le racisme, c’est aussi ces moments où, quand mes amies et moi-même nous nous promenions dans les rues de Sfax, des enfants, encouragés par leurs parents, scandaient derrière nous « Ghira, Ghira, rentrez chez vous ». Entendez « Ghira » comme nègre et esclave.
Le taxi véhément
Le racisme, c’est encore quand, à l’arrivée d’un trajet en taxi, le conducteur triple sans scrupules le compteur du taximètre. J’ai eu beau crier au scandale et demander pour quelles raison cette attitude, le monsieur tout grassouillet avec le visage buriné par le soleil m’a regardé droit dans les yeux et m’a répondu avec assurance « Tu n’es pas contente ? Tu n’avais qu’à pas venir en Tunisie. Il fallait rester chez toi ! C’est tout, voilà Kahloucha ! Et maintenant « atini flous » (file le flouze).
(Visage et continent africain. Crédit France 24)
Eh oui… les actes racistes foisonnent en Tunisie, j’en ai malheureusement fait l’expérience et tous les étudiants étrangers qui y ont séjourné vous diront la même chose que moi. De la Tunisie à la France j’ai connu tant d’actes racistes qu’aujourd’hui j’en rigole.
Pourquoi ? Parce-que je pense que les personnes racistes souffrent d’une chose dont elles sont esclaves : leur ignorance. Cette absence totale de tolérance vis-à-vis des autres a pour origine ce que j’appelle « notre dictateur intérieur ». Notre vie est dirigée par un dictateur, autoritaire et ignorant. Ce dictateur qui nous dirige ce sont nos croyances, nos illusions. Certaines d’entre elles nous rendent idiots et gâchent nos vies : la méconnaissance du monde qui nous entoure et nos croyances sur les autres. Méconnaissance et croyances sont en effet le terreau du racisme, c’est là que ce phénomène prend vie et s’enracine.
Le racisme se traduit surtout par la promotion et la montée de la méchanceté sociale. Il faudrait inventer une manière de vivre ensemble dont les bases ne seraient pas d’être contre tout ce qui ne nous ressemble pas, de ne pas être contre tout ce qui nous est inconnu, étranger.
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