Déchirée

Déchirée est l’histoire d’une adolescente de 14 ans.

Et toi Doussouba, c’était comment ta première fois ?
Sa nouvelle amie partait d’un rire insouciant.
Elle ne soupçonnait pas le chaos de cette interrogation.
Ta première fois c’était avec qui ? L’aimais-tu ?
Les pensées de Doussouba partaient en dérade.
Le passé renaissait avec son flot d’émotions.

Le temps n’aide pas à guerrir mais à s’habituer !

L’histoire remontait à dix ans.
Elle avait mis cinq années à comprendre ce qui lui était arrivé.
Cinq autres années à panser ses plaies.
Un jour, elle s’était résignée à sauver son âme fracassée.
Aujourd’hui, nouveau départ, nouvelle vie.
Finis les insomnies et les cauchemars agités.
Timidement, son corps et son âme retrouvaient le même langage.
Et puis, cette satanée question.
En une fraction de seconde, le temps se figeait au tour d’eux.
Cette nuit sauvage surgissait de son inconscient. Une porte s’ouvrait sur son secret.
Son esprit se butait à ce passé longtemps refoulé.

Était t-elle prête à faire le récit de son malheur ?

Ma première fois s’avoua-t-elle intérieurement !
C’était le fracas, une effraction dans tout mon être.
La nuit était tiède et la ruelle sombre, je fredonnais un air de Moussolu*
Soudain la silhouette surgissait de nulle part, un sourire imbécile aux lèvres
Tout allait tellement vite. Je tombais à la renverse.
L’homme d’un mètre quatre-vingts m’écrasait de tout son poids.

Ma première fois,
Je hurlais de douleur mais mes hurlements s’unissaient au vrombissement des véhicules
Je pleurais tout mon soûl mais mes pleurs s’élevaient dans un silence général.
J’étais prise dans une toile d’araignée que je tentais vainement de percer.

Ma première fois,
L’homme se dissipait en moi en m’assenant de coups.
J’étais sienne, comme un vulgaire morceau de papier.
Levant mes yeux, je reconnaissais celui qui m’amputait de ma vertu
Non pas lui ! Achève-moi ! Tue-moi ! balbutiais-je !
Rien n’y fit. L’homme demeurait silencieux.

L’agresseur tue toujours deux fois. La deuxième fois par le silence.

Ma première fois,
J’étais souillée, je puais, je sentais la mort, j’agonisais.
Savait-il que je passerais par là . Avait-il murement pensé son acte ?
Le silence de l’homme se solidifiait. Un de ces silences qui laissait parler le regard.
De la fierté se lisait sur ce front luisant de sueur.
Le chasseur s’enorgueillissait de sa chasse.
Fière d’avoir assouvi son appétit sexuel.
Fière de m’avoir possédé et dépossédé.
Fière comme le mont Kilimandjaro.

Ma première fois,
Mes larmes ne tarissaient pas, elles embuaient mes yeux.
Une violente douleur m’ankylosait. Je gisais à demi-morte sur ce sol caillouteux.
Pendant que mon agresseur disparaissait dans la brise de la nuit.
Emportant avec lui toute mon énergie vitale.
L’homme venait d’éteindre en moi toute lumière.
Me condamnant à vivre des jours lugubres.

Ma première fois,
C’était le voisin d’à côté.
C’était le père de meilleure amie.
C’était un cisaillement dans ma chair.
C’était une déchirure dans mon intimité.
Ma première fois, j’ai été violé…

Cette histoire est une fiction. C’est un cri de coeur face à la banalisation du viol en Guinée. Rien qu’au premier semestre 2017, plus de 95 cas de viol ont été enregistrés dans la capitale Conakry. Personnellement, je suis effrayée par les chiffres, je suis exaspérée par tant de sauvagerie. Se gargariser de grands mots et discours ne suffisent plus concrètement. L’intégration des cours d’éducation sexuelle dans les écoles est-elle une réponse ? Cette perspective m’enchante certes mais je reste persuadée qu’il faut une inclusion dans tous les champs. Éduquer oui, mais apporter parallèlement une réponse pénale comme je le précisais dans ce récent thread.

Victime de viol ou d’excision, la jeune fille est souvent assise à la table des malheurs en Guinée. Eu égard aux nombres de victimes, j’en viens à croire qu’elles sont nées pour pleurer éternellement. L’enjeu n’est plus négligeable.

*Moussolu : veut dire femmes, est une chanson de Salif Keïta.

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