18 juin 2019

Mendiants : les abandonnés !

Impossible de traverser Conakry sans apercevoir ces regards inquiets. Ils sont bien présents le long des rues tendant machinalement la main pour nous rappeler leur indigence. Parmi eux, des manchots, des boiteux, des estropiés, des enfants albinos, des jumeaux, des aveugles, des vieillards, des vieilles femmes en guenilles… Mendiants, les affuble-t-on. Moi je les appellerai : les abandonnés.

Mendier un morceau de pain à ceux qui leur avaient tout pris était encore pour eux une chance de vivre. Et on les appelait mendiants ou bien voleurs suivant leur insistance à vivre.

Je perçois la mendicité sous un jour neuf depuis mon séjour à Conakry. Ça fait un bon mois que je suis de retour mais je cavale dans des questionnements de tout genre. Comment en est-on arrivé là ? La mendicité n’est certes pas un phénomène nouveau en Guinée mais dans mon souvenir, ils étaient trois fois moins nombreux. Là, je découvre stupéfaite la myriade.

Comment expliquer qu’il est tellement de mendiants à Conakry ?

Ce voyage m’ouvre les yeux sur l’aspect conjoncturel du fléau. L’influence démographique n’est pas à négliger dans cette multiplication. Je spécule peut-être mais la recrudescence de la mendicité peut-être imputable à l’exode rural des dix dernières années. Ce grand déplacement des familles paysannes vers la ville a entraîné un grand appauvrissement des campagnes et une hausse sans précédent de la mendicité urbaine. Selon des dires, les recettes de l’agriculture vivrière et de l’élevage qui nourrissaient les paysans guinéens ont fâcheusement baissé dans le temps. Des familles entières se sont installées en ville dans l’espoir d’un mieux-vivre. Sans aides financières et sans pensions alimentaires, faire la manche demeurait le seul moyen pour survivre. Autrement dit, la mendicité n’est que reflet d’une pauvreté humaine palpable dans laquelle la population guinéenne barbote.

Haro sur les mineures mendiants !

Talibés au Sénégal, Koulamati en Guinée, Bakoroman au Burkina, les microbes en Côte d’Ivoire et enfants sorciers en RDC, on observe le phénomène de mendicité des enfants un peu partout sur le continent. Sains ou infirmes, ils vivent quotidiennement de sollicitations publiques. Ils se positionnent dans les grands marchés des villes, aux ronds-points, dans les grandes artères, devant les hôpitaux centraux, les mosquées, églises, devant les arrêts de bus ou les gares routières… En Afrique, on compte environ 30 millions d’enfants des rues, d’après les Nations unies. Ils seraient plus de 30 000 dans les rues de Dakar, 40 000 à Kinshasa, 17 000 à Kampala pour ne citer que ces villes. Pour Conakry, j’ai farfouillé… que nenni. Un vide statistique invraisemblable. Aucune enquête sociologique et géographique sur le sujet.  Aucun chiffre récent sur ce fléau. Une normalité que j’ai lamentablement déplorée… Visiblement le système considère cela comme allant de soi. Quant à la population, elle s’accommode de la situation telle qu’elle est.

Par ailleurs, c’est dans les embouteillages quotidiens que les mineurs se manifestent le plus souvent. Ils tournicotent, se glissent entre les motards, courent derrière elles et toquent aux vitres des véhicules avançant à la queue leu-leu. Souvent, les mains sont portées à la bouche comme pour susurrer aux occupants des véhicules : j’ai faim, donnez-moi à manger. Ce fut mon expérience. Engloutie dans un bouchon interminable, un enfant était appuyé contre la voiture et me fixait. Je descendais la vitre pour glisser un billet dans la main du môme. Ce dernier me gratifiait d’un “Dieu te bénisse “ et filait à toute vitesse.

Zézé le chauffeur qui me conduisait en profita pour se lancer dans une diatribe sur la justice sociale. Dans son quartier, il y avait un squat de mendiants, si on peut l’appeler comme ça. Ce pied-à-terre était un bâtiment inachevé sans crépissage, oublié certainement par le propriétaire. Une bonne cinquantaine de gamins des deux sexes y vivaient dont certains à vue d’œil, n’avaient pas atteint l’adolescence. En vérité, les jeunes n’étaient pas sédentaires, ils n’y venaient que pour dormir très tardivement le soir. Parce que la journée, ils regagnaient les rues par groupes de deux. Les filles dans les marchés entre les échoppes et les garçons sur la voie publique au niveau des ronds-points. Des fois, un gamin disparaissait comme ça du sillage. Paraît-il qu’il aurait perdu la vie dans un accident de circulation. Mais Zézé avait sa théorie là-dessus : le môme se reposait d’avoir vécu une vie de misérable.

Les mendiants, victimes d’une réalité socio-économique !

Parce que la mendicité est avant tout un métier : le métier de la rue. Au même titre que le boulot de cireurs ou de portefaix… Dès le lamento du coq, ils se réveillent et mendient de la même manière qu’on se lève chaque matin pour aller chercher de quoi payer nos factures. Et le courage qu’ils déploient quotidiennement dans cette quête est incommensurable.

Parce que la mendicité est également un business. De ce que j’ai cru comprendre l’utilisation des mineurs pour apitoyer les passants est monnaie courante. Les enfants des zones rurales représentent un vivier de mains d’œuvre faciles pour des bandes organisées. Ces trafiquants recrutent les jeunes garçons dans les campagnes. Les familles vulnérables financièrement sont parfois trompées et désabusées par de fausses promesses. Ces derniers ignorent qu’une fois en ville, leurs marmailles seront acculées à la mendicité. En y regardant de plus près, il s’agit incontestablement d’un cas de trafic d’enfants. Le problème est d’autant plus grave si ces derniers sont dépourvus de documents d’identité. Donc invisibles aux yeux du système.

Parce que les mendiants s’organisent en collectivité. Je n’ai pas la moindre esquisse de comment cela se passe. Il s’avère que les mendiants s’organisent en tontine hebdomadaire mettant en commun une parcelle du produit de la mendicité. Le principe de la tontine classique semble s’appliquer également.

Parce qu’il existe un véritable marché de la mendicité. J’ai tendance à dire que l’économie ce n’est pas que le marché de biens et services, de travail ou de capitaux. Non ! En réalité, des tas de choses se passent en dehors de ces marchés. Dans ce contexte, faut-il penser à intégrer les produits de la mendicité ou le trafic des enfants à des fins de mendicité dans le calcul du PIB ? Par définition, le PIB n’est-il pas la somme des richesses produites en une année par un pays ?

Réintégration des mendiants : exit les pis-aller !

Nettoyer les rues de sa cohue ! La ville de Dakar fait souvent les gros titres pour ses nombreuses tentatives de nettoyage des rues de Talibés. Une sorte de croisade contre les mendiants et les faiseurs de mendiants. La ville de Conakry avait tenté également d’interdire la manche et le racolage sur ses voies publiques. Un programme de retrait avait permis de confiner un nombre important de mendiants dans des centres d’accueil. Mais le dispositif avait échoué. Quelques semaines après, les indigents délogés de la rue avaient retrouvé leurs points stratégiques. Cet échec prouve que re-socialiser des individus longtemps marginalisés et déshumanisés n’est pas mince affaire. On omet souvent que les mendiants sont à la recherche d’une place dans la société. Ils ont besoin qu’on les aide à retrouver leur qualité de citoyen. Ce qui revient à réparer notre système inégalitaire et non se contenter d’un bricolage express.

En m’intéressant à la mendicité urbaine à Conakry, j’ai surtout noté une inertie collective à agir. Doit-on tout attendre de l’État ? Ne faut-il s’appuyer sur l’intelligence collective pour retirer méthodiquement et progressivement les enfants des rues ? L’État, les chefs religieux, la police, la société civile, les travailleurs sociaux et les associations, chacun est appelé à jouer un rôle de facilitateur. Prenons, par exemple, le cas des associations à Conakry ! Le tissu associatif local reste peu développé financièrement et peu structuré humainement. Les orphelinats font du bon travail en recueillant certains enfants. Malheureusement, ces derniers sont accablés par le désarroi financier et ont l’impression de ne pas être épaulés. C’est un travail de longue haleine de réintégrer les mendiants. Le moins que le système puisse faire serait de commencer en fixant des objectifs à court, moyen et à long terme. Comme par exemple :

  • entamer une première étape d’enregistrement des mendiants ;
  • vérifier les registres d’états civils pour les connus et relever l’identité des “invisibles”;
  • établir une base de données de la population des mendiants ;
  • retirer méthodiquement les enfants dans les rues et les placer dans des structures hygiéniques conçues pour les accueillir ;
  • délivrer des soins de santé primaire pour les malades ;
  • accompagnement moral et psychologue des enfants ;
  • mener une campagne d’alphabétisation en leur ouvrant la porte des écoles ;
  • apprendre des métiers…

Bref à défaut d’un passé dans la rue, offrir aux enfants mendiants un avenir hors de la rue. Je m’engrosse certainement d’accomplissements espérés vous me direz !

C’est avec les bras de la charité que l’on saisit Dieu !

Je ne peux terminer ce billet sans m’interroger sur nos rapports avec les mendiants. À y regarder de près, on ne les approche que sporadiquement. Le plus souvent pour faire de la charité affichant ainsi de manière ostentatoire notre privilège. C’est avec les bras de la charité que l’on saisit Dieu ! ma grand-mère avait souvent recours à ce dicton pour justifier ses offrandes matinales aux passants les plus démunis. Pourquoi demandais-je souvent ? En échange de cette aumône, je souhaite que l’éternel protège cette maison et cette grande famille me disait-elle. Les mendiants d’après elles et vraisemblablement seraient des êtres pleins de prières et de bénédictions. Des intercesseurs efficaces auprès du créateur en quelque sorte.

De toute façon, on ne les méprise que si l’on n’a pas besoin d’eux.

Une réalité déplorable malheureusement ! Je vous invite à lire la grève des bàttu de l’illustre Aminata Sow Fall. Une fiction certes mais un bouquin qui redonne de l’humanité à ces marginaux. Ce roman traduit l’immense hypocrisie à base du jeu social et cette relation en trompe-œil que nous entretenons avec les pauvres.

Pensez-vous qu’ils ont songé que nous avons faim. Ils s’en foutent. Notre faim ne les dérange pas. Ils ont besoin de donner pour survivre et, si nous n’existions pas, à qui donneraient-ils ?

Ce n’est ni pour nos guenilles, ni pour nos infirmités, ni pour accomplir un geste désintéressé que l’on daigne nous jeter ce que l’on nous donne. Ils ont d’abord soufflé leurs vœux les plus chers et les plus inimaginables sur tout ce qu’ils nous offrent.

Martèle un mendiant. Parallèlement, Mour le personnage central s’interroge :

Au fond ils ne méritent peut-être pas notre mépris. De toute façon, on ne les méprise que si l’on n’a pas besoin d’eux.

Je finirai donc ce billet par cette réflexion personnelle. Même s’il est vrai que « nous » n’allons pas au-devant de la charité publique, inconsciemment nous mendions également dans nos vies quotidiennes. Quoi ? La santé, le succès, la réussite professionnelle, l’amour, l’affection, l’attention, la reconnaissance et surtout les grâces du créateur. En ce sens, j’ose croire que nous sommes et nous demeurons des éternels mendiants.

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